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Parcours d'un poilu à travers ses cartes postales

Lucien GUIBERT, 

soldat au 6ème régiment d'artillerie à pied, 

puis dans la Division d'Orient à Salonique


Lucien GUIBERT en 1914

Lucien Arthur GUIBERT (Sosa n°14) pose fièrement dans l'album de famille en tenue de soldat. La photo est datée, au dos,  de 1914.  J'en déduis que mon arrière grand père, comme toute sa génération, a été un poilu. La photo indique qu'il est soldat du 6ème régiment d'artillerie à pied.

Lucien est né le 19 février 1887 à Guerchy dans l'Yonne. Il est intégré, 20 ans après sa naissance, dans la Classe 1907. Malgré la numérisation des registres matricules par les Archives départementales de l'Yonne, je n'ai retrouvé son nom dans les listes. Il est vraisemblable qu'il demeurait dans un autre département et que son nom se retrouve ailleurs. Pour l'instant je n'ai aucune indication qui me permette de pousser mes recherches.


Acte de naissance de Lucien GUIBERT à Guerchy

A 24 ans, il se marie avec Thérèse Jeanne BRUNEAU, le 29 avril 1911 à Guerchy (Yonne).  Sa fille Germaine est née le 8 janvier 1914 à Auxerre.   Il exerce le métier de Conducteur des travaux des Postes, Téléphones et Télécommunications (PTT).  Il installe les poteaux et les lignes de téléphone, le long des rails de chemins de fer.

Il a 27 ans, le 2 août 1914, lorsque l'ordre de mobilisation générale est décrété par le Président de la République.

Ordre de mobilisation générale le 2 août 1914

Son fils Robert  nait le 23 avril 1915 à Guerchy. Son père est déjà parti au front et sa mère Thérèse est retournée vivre chez ses parents à Guerchy. Leur séparation durera 4 longues années.

Collection de cartes postales anciennes

J'ai retrouvé des cartes postales que Lucien adressait à son épouse depuis le Front. J'ai tenté de retracer son parcours à travers ces cartes postales lointaines. Celles-ci ont été conservées dans un carton par Thérèse, puis par sa fille Germaine, enfin à ma mère Arlette qui me les a remises. Je les ai lues (l'écriture est régulière tracée au crayon à papier), classées et j'ai retrouvé une chronologie.
Ces cartes postales ne sont pas banales car pour l'essentiel, elles proviennent de Salonique en Grèce. Leur nombre est d'une centaine. Le problème est que ces cartes ne sont pas datées car il y avait surement des consignes strictes liées à la sécurité et à la censure. Les informations sont donc assez banales et ne permettent jamais de connaitre des informations stratégiques. Il faut donc comparer ces cartes avec les périodes historiques grâce à des recherches complémentaires.  Ces cartes postales nous font entrer dans la Grande Histoire.

La Grande Histoire : La poudrière des Balkans

Le 28 juin 1914, l'Archiduc François Ferdinand, héritier du trône Austrois-Hongrois est assassiné par un nationaliste Serbe. Le mois suivant l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Les jeu des accords entraine la première guerre mondiale. L'Allemagne forme avec l'Autriche-Hongrie "l'alliance des empires centraux" et la Russie, la Grande-Bretagne et la France forment la "triple entente" et sont alliés à la Serbie. Peu après la guerre s'étendra à d'autres pays des Balkans et au delà. L'armée française d'Orient est une unité de l'armée de terre française qui combat durant la première guerre mondiale sur le front d'Orient de 1915 à 1918. En 1916, l'armée française d'Orient fait partie des armées alliées d'Orient regroupant les armées britannique, serbe, italienne, russe et grecque. Elles provoqueront la défaite de la Bulgarie, reconquièrent la Serbie, la Roumanie et envahissent l'Autriche-Hongrie.





Carte de Balkans en 1910

La Campagne d'Orient : le départ de Lucien Guibert

De 1915 à 1918, ce sont plus de 500 000 soldats français qui quittent le territoire national pour être engagés dans des opérations contre les Turcs aux Dardanelles, puis en octobre 1915 contre les Bulgares en Macédoine. Il faut imaginer Lucien GUIBERT transporté dans un de ces énormes navires en destination de la Macédoine. Il aperçoit la Corse, il passe devant la Tunisie, longe les côtes d'Afrique et approche des côtes de la Grèce.  Il est intégré dans 7ème régiment de la Division d'Orient.


Le débarquement des troupes dans les Balkans 


Belgrade en Serbie

Lucien GUIBERT envoie une carte de la capitale de la Serbie, Belgrade, bombardée en juillet 1914 . Il sent le dépaysement après ces longs jours de voyage et  dit à Thérèse qu'il se trouve bien loin,  à 2220 kilomètres de Paris, par le chemin de fer.

Belgrade bombardée

Dans une de ses cartes du camp franco-serbe de Banitsa, situé près de Belgrade, il  évoque "la retraite de Serbie". En effet, l'entrée en guerre des Bulgares, en septembre 1915, provoque l'effondrement de l'armée serbe qui doit se replier à Corfou. C'est à ce moment que la France décide d'organiser une armée nouvelle confiée au Général Sarrail. Les troupes françaises se replient en Macédoine. Un autre front s'ouvre alors, celui de Salonique, où se retrouvent les troupes retirées des Dardanelles. Lucien GUIBERT fait partie de ces troupes.

Expédition de Salonique

En octobre 1915, à Salonique ont été débarquées les deux premières divisions françaises et une division sous le commandement français du Général Sarrail pour porter secours à l'armée Serbe. Au total ce sont 400 000 soldats qui sont engagés dans ce théatre d'opération. Les cartes postales que Lucien adresse à son épouse témoignent qu'il était bien sous le commandement du Général Sarrail, dans la  Division d'Orient.


Régiment d'infanterie dans les Balkans 1915

Lucien au camp de Zeitinlick 


Le Camp de Zeitinlic près de Salonique Guerre 14-15
Plusieurs cartes postales proviennent du camp de Zeitinlick. Elles laissent supposer que Lucien GUIBERT y séjournait. Ce camp est situé à deux heures de Salonique. C'est essentiellement un camp de tentes. On constate bien sur la carte ci-dessus, les conditions de vie précaires des soldats. Des témoignages de poilus indiquent que l'eau est rare et souvent polluée. Des puits sont creusés et des citernes installées. En journée, les soldats creusent des tranchées autour de Salonique. Une carte postale   représente les soldats dans une tranchée. Ils posent face à l'appareil photo. Je pense que les conditions de vie dans les tranchées étaient bien plus terribles que la photo le laisse supposer.


Les tranchées dans les Balkans 


Le soir, ils retrouvent leur campement insalubre. Des hôpitaux de campagne sont improvisés sous des tentes. Lucien évoque dans une carte sa solde bien maigre. Elle est de 5 francs et le ravitaillement arrive difficilement. Il raconte manger de la soupe et du riz ou des haricots rouges. Il aime les  haricots rouges mais ils provoquent des coliques, dit-il. Malgré ces conditions de vie difficiles, Lucien poursuit son dialogue écrit avec sa chérie et lui envoie cette jolie carte des costumes de Salonique sur laquelle apparait son écriture en crayon à papier.

 Lucien GUIBERT écrit à son épouse


Général Sarrail


Plusieurs cartes postales de Lucien mettent en scène le Général Sarrail au camp de Zeitinlic. Le 11 août 1916 ,  ce dernier prend le commandement en chef des armées alliées d'Orient . Il sera rappelé à Paris en décembre 1917.

le Général Sarrail à Zeitinlic

A la fin août 1916, l'armée française dispose à Salonique de 50 000 combattants dont 30 000 fantassins. Il faut y ajouter 42 000 Anglais, 51 000 Serbes et 10 000 Italiens.


Transfert de Lucien à l'Hôpital de Marine Saint-Mandrier à Toulon

Le bilan humain de l'armée d'Orient est catastrophique. On compte 70 000 tués, disparus ou décédés de maladie. il y aura 44 500 blessés, 283 000 malades. Le typhus, la dysenterie, le paludisme font des ravages sur le front. Le périple d'évacuation des blessés est difficile. Les plus graves sont évacués par des vaisseaux de guerre jusqu'au navire hôpital mouillé au Cap Hellés.  Cinq navires (Asie, Bretagne, Flandres, Charles Roux, La Navarre, Sphinx) assurent des rotations jusqu'aux hôpitaux de Toulon et de Marseille, ramenant à chaque fois 500 blessés ou malades.

Le 23 novembre 1916, une carte postale de M. Blanchon est adressé à Lucien GUIBERT à l'Hôpital de Toulon.

Courrier à l'Hôpital de Toulon 1916

J'apprends donc que Lucien a été blessé sur le terrain et qu'il a été soigné à Toulon. Il écrit à Thérèse qu'il a était installé dans un lit près des grandes fenêtres. envoie plusieurs cartes du navire hôpital France IV où il a du être transféré avant son départ pour Toulon.  Dans une carte du 11 février 1916, de Nîmes,  il précise avoir l'épaule et le bras engourdis mais beaucoup moins que pour la typhoïde. Je dispose d'une indication sur sa santé et sur la maladie infectieuse qu'il aurait contracté près de Salonique.

Navire Hôpital


Lucien sur le front de l'ouest en France en 1917

Après ses soins qui semblent avoir duré plusieurs semaines, il n'est pas renvoyé en Orient. Il est intégré dans le front de l'ouest.  Les cartes postales reprennent en 1917, en provenance du Doubs, du Nord, du Pas de Calais, de Franche Comté. Il est toujours mobilisé au sein du 7ème régiment de la Division d'Orient  jusqu'en 1918.

En février 1917, il est basé à la caserne de Hazebrouck, dans le Nord. Cette ville est bombardée par les Allemands la même année. En équipe, il se déplace jusqu'à Béthune pour installer des poteaux des postes et télécommunications le long des lignes de chemins de fer. Lors des interventions, ils sont cantonnés dans des familles.

En novembre 1917, il est dans le Doubs, à la frontière franco suisse. Il souffre du froid et de la neige et réclame un envoi de paires de chaussettes. Bien qu'il se plaigne de la censure qui l'empêche de recevoir certaines lettres de Thérèse, il demande dans un de ses écrits à son épouse de lui envoyer 20 francs pour améliorer son quotidien. Ses conditions de vie doivent être tout de même moins difficiles qu'en Orient. Mais la famille est loin et le retour pas encore annoncé. Les canons continent à tonner.

L'armistice du 11 novembre 1918

Dans une carte d'octobre 1918, en provenance de Vesoul, il évoque la fin de la guerre. La signature de l'armistice permet à Lucien de revenir enfin à Auxerre et de retrouver ses deux mignons, comme il dit, Germaine âgée de 4 ans et Robert âgé de 3 ans.

Silence et cartes postales

Jamais je n'ai entendu une seule information ou anecdote sur sa vie de poilu. Silence complet. Les cartes postales transmises à travers 4 générations m'ont permis d'évoquer cette période partagée par tant de ses compatriotes. Je découvre seulement maintenant le parcours de cet homme et de ses camarades. Le centenaire de la grande guerre est l'occasion idéale pour évoquer cette mémoire.


Lucien et moi

Mon arrière Grand-père Lucien, que j'ai un peu connu, était un bel homme distingué, gentil et discret. Il a vécu la fin de sa vie, dans une pièce aménagée à l'intérieur de la maison de sa fille Germaine dans la commune de Chailley. Une relation particulière me relie à Lucien. Il est décédé à Chailley (Yonne) , sur le banc placé devant la maison. Il regardait ses arrières petits enfants jouer. Il est mort dans la joie au milieu des enfants. C'est nous qui avons averti ma grand-mère, sa fille, parce qu'il ne bougeait plus sur ce banc. Une inquiétude nous a saisi, sans comprendre. Ce sera ma première rencontre avec la mort. Un souvenir gravé à tout jamais dans ma mémoire.


Lucien Guibert et son arrière petite fille en 1956





Un siècle de bouchers



A travers les archives et photographies familiales, j'ai pu retracer le parcours professionnel de Marcel Bourgoin, mon grand-père. 


Mes ancêtres maternels ont exercé la profession de Boucher pendant 3 générations, dans le même village de Bourgogne, Chailley dans l'Yonne. La tradition a débuté en 1909, avec Alphonse, mon arrière grand-père, et a pris fin avec Gérard, son petit-fils, en 2000. A travers cette histoire de générations durant un siècle, nous suivons l'évolution d'un métier, de l'artisanat de proximité à l'industrie internationale.

Alphonse Bourgoin, le pionnier en 1909

Le pionnier c'est Alphonse, Etienne Bourgoin.  Né le 29 novembre 1876, il est originaire du village de Saint-Julien du Sault dans l’Yonne. 

Acte de naissance d'Alphonse Bourgoin en 1876

Il est le deuxième d'une fratrie de 4 garçons et 1 fille. Son père Etienne est vigneron greffeur. Son grand-père Etienne est cultivateur. Alphonse, l'aîné des garçons, n'hésite pas à quitter la maison familiale pour se rendre à Chailley, village animé de 800 habitants,  situé à  31 kilomètres. 


Distance entre Saint Julien du Sault et Chailley- Yonne



En ce début de siècle, Chailley abrite encore 3 fonds de boucherie. Alphonse  fait son apprentissage dans l'un d'entre eux. Il est peu de métiers plus anciens que celui de boucher, et il en est aussi très peu qui aient donné lieu à de plus nombreux règlements, dans l’intérêt surtout de la santé publique. En France, à l’origine et même assez loin dans le Moyen Age, il ne fut exercé que par un petit nombre de personnes, ou même seulement par quelques familles où les fils succédaient aux pères. Alphonse ne succède pas à son père. Il se lance dans un métier tout neuf pour lui.


Alphonse Bourgoin en 1914
Cette photo datée de 1914 met en scène Alphonse, âgé de 38 ans,  placé à gauche de l'image, cigarette à la bouche, sabots en bois aux pieds. Il vient d'abattre, avec ses deux collègues, un boeuf qui sera dépecé, préparé, et vendu aux clients. Qu'ils ont l'air fiers de leur travail ! Le fendoir, sorte de hache placée sur la bête est impressionnante. A cette époque, le boucher choisit ses viandes sur pied, dans des foires aux bestiaux ou directement dans les fermes. Il les transporte vivants dans dans son abattoir situé à l'arrière de son magasin,  les abat, les découpe, les stocke. Il vend cette viande à ses clients.
Berthe Godard ép. Bourgoin

En 1914, Alphonse dirige sa propre boucherie située Grande rue à Chailley. En effet, c'est dès 1909 que, Alphonse, entreprenant décide de s'installer à son compte. Soit 6 ans après son mariage le 2 mars 1903 avec Berthe Elmire Godard, la fille du sabotier et du cafetier du village Romulus Godard. Alphonse a 26 ans, Berthe seulement 17 ans.






La Boucherie en 1915

Romulus installe sa fille et son mari dans un espace à côté du café. Ainsi s'ouvre la boucherie Bourgoin qui va connaitre une prospérité certaine. Derrière le magasin, dans un grange de la maison familiale, est créé un abattoir, vaste espace dédié à l'abattage des bêtes et à leur dépeçage (Voir photo ci-dessus). 

La boucherie Bourgoin en 1915

J'aime cette jolie photo de 1915. Alphonse, Berthe et leur fils Marcel enfant,  posent devant leur boucherie qui jouxte le café de Romulus Godard, leur père et beau-père qui sert les clients installés à l'extérieur. D'après les écrits, l'installation se serait faite en juillet 1915. C'est peu après son mariage, que Berthe accouche de son premier enfant Marcel Bourgoin, mon grand-père. Elle est âgé de 19 ans. Sa soeur Martine nait le 24 avril 1911. En 1915, elle accouche d'un enfant sans vie.



Boucherie Bourgoin à Chailley vers 1930
Quelques années plus tard, en 1930, la famille se laisse photographier devant la belle boucherie Bourgoin. Berthe Godard se tient sur la plus haute marche, Alphonse à sa gauche et Martine sa fille à sa droite. La boucherie est pimpante avec ses grilles blanches et ses rideaux que l'on tire en cas de chaleur. Il n'y a pas encore de vitrine réfrigérée. La ventilation dans un local frais est une manière empirique de conserver la viande. Mais cela nécessite de bien traiter l'animal et sa carcasse, en évitant les souillures lors des opérations de dépouille, d'éviscération et de découpe. Le fils Marcel, suit sa scolarité à l'école primaire de Chailley avant de rejoindre, après son certificat d'études, la boucherie familiale. Le CAP de boucher n'est créé qu'en 1920. Son père lui apprend donc le métier. Il travaille aux côtés de son père avant de  prendre sa suite.

Marcel Bourgoin, la deuxième génération en 1933


Alphonse décède brutalement à l'âge de 57 ans. Le fils Marcel devient le patron de la boucherie en 1933 . Il est âgé de 28 ans. L'année suivante, il épouse à Auxerre, Germaine Guibert qui le rejoindra à Chailley et tiendra la boucherie avec lui. Un an plus tard, en 1935,  le couple donne naissance à leur fille Arlette, ma mère. Marcel est soudain projeté dans la vie d'adulte et de chef de famille. 
Boucherie Bourgoin 1936
Marcel et Germaine
Il s'acharne au travail et transforme la boucherie de son père en un commerce prospère. Lui aussi, choisit ses animaux sur pied, les transporte, les abat, les découpe et vend la viande à ses clients. La commune ne compte plus que deux bouchers concurrents mais la boutique est pleine. Les journées sont longues. Il se rend, tous les 15 jours,  aux Halles à  Paris  acheter des bovins de qualité, qu'il transporte à l'aide de la camionnette de l'épicier, son ami. Pour répondre à la demande croissante, Il élève des animaux dans ses prés ou les sélectionne dans les fermes environnantes. Il travaille ainsi jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Je raconte cette période dans un autre article du blog. Il sera fait prisonnier, libéré, dénoncé puis caché sous une fausse identité jusqu'à la libération. Après la guerre, il élève ses deux enfants et les 3 enfants de sa soeur, veuve de guerre. Il se trouve contraint à développer son affaire pour assurer la survie de toute la famille. Il n'hésite pas à diversifier ses activités avec l'aide de son épouse Germaine.

Marchand de bestiaux

A cette époque, le boucher de village va chercher ses bêtes dans les fermes des alentours, les abat lui même, les découpe pour les vendre à la boutique ou en tournée en passant de village en village.

Carte d'acheteur 1949

L'abattoir

Pour évoquer l'abattoir, j'ai fait appel à mes souvenirs de petite fille. Ne lisez ces lignes que si vous avez le coeur bien accroché !

"Je me souviens de l’arrivée du porc ou du bœuf dans l’abattoir, ouvert sur la cour. Le porc hurle comme s’il savait sa dernière heure arrivée. Le bœuf ne veut pas sortir du camion. Pourtant le scénario est immuable. Le veau est attaché vivant par les pieds arrières et levé en haut d’une poulie. D’un coup sec il est égorgé et son sang chaud est recueilli dans une bassine. Très rapidement ses viscères s’amoncèlent sur le sol. Toutes les parties vont servir à la boucherie et à la charcuterie. Rien n’est perdu. Le grand frigo installé à côté garde la qualité de la viande. Si pour le porc, les cris raisonnent encore dans ma tête, pour le bœuf c’est terrible. La bête se tient debout, droite et fière. Mon grand père tient une massue, appelée Merlin américain  et d’un seul coup il doit frapper entre les deux yeux frontalement. L’homme et la bête. L’animal s’effondre net. Allongée au sol, gisante, elle est également dépecée. Le travail est plus long, délicat. Il faut respecter tous les muscles, les morceaux. Les poils de la peau du porc sont brulés avec de la paille en feu, en dégageant une odeur nauséabonde. La peau du bœuf sèche dans un coin de l’abattoir au sol en attendant qu’elle soit vendue".

L'abattoir en 1955

Les morceaux de viande sont rangés dans la chambre froide appelée Glacière. Jusqu'aux années 1950, la glacière est réfrigérée par des énormes pains de glace. Ils sont livrés par camion, protégés par de la sciure et installés à l'intérieur du local réfrigéré. 


Les "tournées"

Marcel Bourgoin apporte la viande aux personnes sans véhicule et qui ne peuvent se déplacer. Le « tube » est rempli de viande.
Le tube des "tournées" en 1957



Il roule et klaxonne à l’entrée du village. Il s’arrête à un endroit stratégique du village. Les gens sortent de leurs maisons et s’agglutinent à l’arrière du camion. Certains ont passé leur commande la semaine précédente. C’est rapide. 
D’autres hésitent et mon grand père doit leur "faire l’article". Il ferme son camion une fois que les clients sont servis et ont fini leur conversation. Il repart jusqu’au village suivant. Ces tournées lui permettent de compléter ses revenus et ma grand mère tient seule la boutique. Je ne sais pas si ces tournées sont  rentables. Beaucoup de temps et de travail pour une maigre recette. Il cesse ses tournées les dernières années.

La charcuterie

A l'arrière de la boutique est installé "le laboratoire". C'est dans ce local d'une propreté irréprochable que sont façonnés, les boudins noirs en chapelet, les saucisses, les rillettes, les terrines, les jambons... 

Logo Charcuterie Bourgoin


Le développement en 1963

Dès 1963, mon grand père comprend  que sa boucherie artisanale ne peut suffire à son activité, à celle de son fils Gérard,apprenti boucher et à son neveu Alain Charlot.  Il impulse un changement d’importance. Son idée originale est la fabrication et la vente de nouveaux produits.  Ma grand-mère, excellente cuisinière,  imagine des rillettes de lapin au chablis. Ces rillettes sont appréciées. Gérard Bourgoin et Alain Charlot décident de fabriquer ces rillettes à plus grande échelle. Encore faut-il pouvoir les conserver pour pouvoir élargir les ventes. Gérard achète la plus grande cocotte minute qui existe sur le marché,  une « Seb »  de 15 litres. Puis vient l’idée de pasteuriser ces rillettes dans des pots en verre.  Alain invente le premier appareil de production avec un système de contre-pression à air comprimé permettant aux couvercles de tenir longtemps sur les pots en verre. Le système de conservation étant au point, des quenelles de volailles au chablis complètent la gamme de produits. Gérard se charge de la vente dans des charcuteries de l’Yonne et élargit la vente à la région parisienne, transportant ses produits dans une 2 CV camionnette. Les produits sont regroupés sous le nom "la Chaillotine", nom des habitantes du village.

Article de L'Yonne républicaine 1966
La qualité de ces produits est vantée par la presse locale et est reconnue par un prix au concours international de Stockholm en 1966.

La troisième génération : la création de l'usine la Chaillotine en 1966


Mes grands parents accompagnent et encouragent cette expansion. L’ingéniosité des deux cousins rend possible un tel challenge. C’est en 1966, que le fils Gérard Bourgoin décide de créer une SARL à capitaux familiaux pour employer une trentaine de personnes dans les bâtiments aménagés dans une ancienne ferme de Chailley. En 1968, la SARL Bourgoin se transforme en SA à capitaux encore exclusivement familiaux qui est la première en France à se lancer dans la découpe de dinde. Le  consommateur français découvre les premiers les rôtis de dindonneau et  les escalopes de dinde sous vide.

Le premier logo de la Chaillotine 1970

De 1970 à 1973, des bâtiments neufs sont construits à l’entrée du village. L’extension est progressive et La Chaillotine s’agrandit jusqu’à atteindre 9 400 m2. Une gamme de produits diversifiés est élaborée : pintadeau et lapin farci, escalope de dinde, dindes entières, brochettes de dindonneau, produits surgelés…L’extension des bâtiments en 1971 en fait une usine de 3 800 m2 dont la capacité d’abattage est de 1 500 tonnes par an. L’expansion se poursuit de façon impressionnante durant les années 70 à 90.

Usine la Chaillotine en 1971 à l'entrée de la commune de Chailley


Groupe industriel BSA de Gérard Bourgoin en 1985

L’entreprise rachète de nombreuses sociétés, se diversifie et se tourne vers l’international. Le Groupe BSA ( Bourgoin société anonyme) est créé en 1985. En 1996, l’entreprise devient le numéro un mondial de la découpe de volaille fraiche, avec les marques Douce France, Duc, Tilly, Farmstead. Toutefois, en 2000, le groupe BSA n’évite pas le dépôt de bilan. La société Duc poursuit son activité à Chailley sur l’ancien site du groupe.





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