Institutrice, la vocation de ma mère
Ma mère, Arlette BOURGOIN, a toujours rêvée d’être
Institutrice. Née en 1935 dans un petit village de l’Yonne en Bourgogne, elle
est une bonne élève. Enfant, elle rassemble tous ses cousins pour jouer à la maîtresse et elle a déjà une autorité naturelle. C’est tout naturellement qu’elle poursuit ses études
au cours complémentaire d’Auxerre et qu’elle se présente, à la fin de la
troisième, au concours d’entrée et réussir son intégration à l’école normale d’Auxerre.
Elle intègre la promotion de l’école normale de 1951 à 1955.
La devise en est « l’ardeur fera notre réussite ». C’est le passage
obligé pour devenir Institutrice.
Les écoles normales sont construites comme des « châteaux du savoir » avec des bâtiments
solides, une cour, un parc. La discipline est rigoureuse. Entrer dans une école
normale s’apparente à une entrée dans les « ordres ».
C’est l’internat. Une école rigide. Des cours stricts. Un
uniforme. Le jeudi après midi, les
normaliennes ont le droit de sortir en ville, rangée en rang et encadrées par
leurs surveillantes ; Pas question de croiser le regard d’un garçon.
L’école normale veut donner le même bagage culturel et
pédagogique aux instituteurs pour que les enfants aient tous le droit à la même
éducation. Cette unification, cette « normalisation » permet à tous
les élèves de bénéficier des mêmes chances.
Charles Péguy en 1890 décrit ces instituteurs comme les « hussards noirs de la république ».
Charles Péguy en 1890 décrit ces instituteurs comme les « hussards noirs de la république ».
Les normaliennes vivent dans un quotidien austère. Il en est presque
militaire. Promenade surveillée le jeudi après midi, et sortie libre uniquement le dimanche. L’école normale
d’Auxerre de filles est dirigée par Mme Santucci. Avec son comportement
d’abbesse, elle fait en sorte que son établissement ressemble à un monastère
laïque. Tenue de rigueur à l’intérieur mais aussi à l’extérieur. Toute jupe
trop courte est prohibée. Les sorties des normaliennes dans les rues d’Auxerre,
en rangs bien ordonnés, sont accompagnées et surveillées par leur professeur.
Recommandation est faite de ne pas regarder les normaliens si on les croise et
de baisser les yeux.
L’emploi du temps d’une élève normalienne est celui ci :
lever à 6h, étude pendant une heure, petit déjeuner et ménage jusqu’à 8h. Cours
de 8h à 12h, déjeuner, récréation. Cours de 14h à 17h, goûter avec études de
17h à 19h, diner puis étude du soir de 20h à 21h. Les principales matières enseignées sont les lettres avec la grammaire, l’orthographe, la connaissance en littérature, les rédactions et compositions; L’histoire et la géographie; les sciences avec les mathématiques, l’arithmétique et la géométrie; Le dessin et la musique; Le sport; La pédagogie, avec l’éducation à l’hygiène et à l’économie domestique. Les élèves Maîtres passent un examen chaque trimestre qui donne lieu à un classement dans chaque promotion.
Après 21h, les normaliennes s'installent pour leur nuit dans leurs grands dortoirs. Les
lits sont serrés, peu d'intimité est autorisée, le calme requis et le chauffage est assuré par des poêles au charbon comme dans les
classes de cette époque. Cela n'empêche pas nos normaliennes d'Auxerre se prendre en photo en cachette dans le dortoir. De ces photos volées, de ces moments de joie, ma mère en a toujours gardé la trace.
L' école normale d’Institutrice est strictement
séparée de l’école normale de garçons. Il faut donc des trésors d’ingéniosité
pour que futurs instituteurs et institutrices se rencontrent. Le premier mai
était organisé une rencontre dans la campagne environnante pour un pique nique.
En mai 1952, la promotion 1950-1954 des garçons rencontre celle des filles
1951-1955 à laquelle appartient Arlette. C’est alors que mes parents se
rencontrent pour la première fois.
A la fin de leurs études, le précieux Certificat d’aptitude pédagogique leur est délivré par l’Inspecteur d’Académie qui leur donne le droit d’enseigner dans les écoles primaires.
Le 7 juillet 1953, Arlette devient titulaire du baccalauréat
de l’enseignement secondaire Première Partie série Moderne devant la faculté
des sciences de l’université de Dijon. L’année suivante en 1954 elle obtient le
baccalauréat sciences expérimentales.
Le 30 décembre 1955, l’inspecteur d’Académie de Dijon, en
résidence à Auxerre, lui délivre le Certificat d’aptitude pédagogique à
l’enseignement dans les écoles primaires.
C’est donc en octobre 1955, qu’Arlette débute enfin son métier
d’Institutrice. Elle est affectée, pour
son premier poste à l’école primaire de Festigny dans l’Yonne. Elle a 20 ans.
D’abord stagiaire, elle devient titulaire le 01 janvier 1956.
Mon père Jean Battut est nommé à Clamecy dans la Nièvre qui n’est distant que de 15 kilomètres ce qui leur permet de se
retrouver les jeudis et dimanche. Ma mère conduit sa vespa et retourne à son
école le soir avec le même véhicule. En avril 1955, ils se marient et
obtiennent un poste double à l’école primaire de Courcelles dans la Nièvre.
A partir de septembre 1956, Jean et Arlette Battut exercent
à l’école de Courcelles, dans la Nièvre. Le village rural est situé à 13 km de Clamecy. Le
bourg est édifié sur les dernières pentes du coteau. L’habitat est dispersé et
se sépare entre le bourg et le hameau de Chivres . L’école est bâtie entre les
deux villages et regroupe 42 élèves et 2 classes : celle des grands dédiée à mon père et celle
des petits affectée à ma mère.
Arlette et Jean, jeunes Instituteurs dans la cour de l'école de Courcelles en 1955 |
En décembre 1956, je vais naître dans cette région isolée du Nivernais. J'aime bien dire que je suis née dans une école. Je reste
fidèle à cette école laïque, lieu de
connaissance et d’émancipation. Tirer le meilleur de tous et des plus faibles.
Donner à chacun sa chance. Porter les valeurs de la République. Je rends hommage à mes
parents et ces fameux hussards de la république qui ont permis à tous l’accès à
l’école, avant que les transports en commun permettent les regroupements dans
les villes.
Je termine cette évocation de l’Institutrice rurale de cette époque en vous
livrant le témoignage affectueux d’une ancienne élève de ma mère qui me l’a adressé par
mail, peu après son décès. Croyez vous que de nos jours une ancienne élève, 50
ans après, témoignerait ainsi de son ancienne Institutrice ?
Témoignage d’une
ancienne élève d’Arlette – mail de 2010 -
« Je suis une
ancienne élève" des Battut" ! Votre maman m'a appris à lire avec
"Poucet et son ami l'écureuil" !! 7 mois avant j'arrivais de mon
Italie natale et cette découverte a été un grand bonheur ! Je me souviens de
votre naissance qui intriguait beaucoup les petits que nous étions, nous avions
la consigne de ne pas faire de bruit à la récréation pour ne pas vous réveiller
et un jour votre maman a ouvert le rideau de la chambre qui donnait sur la cour
pour que nous puissions vous admirer , que de souvenirs datant
de plus d'un demi-siècle!! Je garde cette image de votre
maman , jolie ( très) les yeux bleus et très douce , elle savait mettre en
valeur chacun de nous; par exemple Félicité qui arrivait d'Espagne , elle
était plus âgée que les autres enfants de la classe , avait des difficultés à
se mettre à niveau mais votre maman lui mettait toujours un" bon
point " pour la frise qu'elle dessinait dans ses cahiers , et moi, eh bien,
je trouvais ça injuste car elle ne savait pas bien lire !! Mon amie Martine qui
était dans la même classe que moi a connu votre maman ensuite comme
enseignante et la retrouvait lors de réunions pédagogiques , elle m'en a parlé
avec chaleur . C'était l'heureux temps des écoles de campagnes »
Liliane Perret,
ancienne élève d’Arlette Battut née Bourgoin.
Sources
Collection personnelle photographies et cartes postales
Témoignages
Collection personnelle photographies et cartes postales
Témoignages
6 commentaires:
L'ancien instituteur que je suis a eu un petit brin de nostalgie avec, entre autre, la description de l'école normale qui ressemblait tant à la mienne (celle de Blois: EN de garçons). Merci.
Roland Bouat
Quel beau billet Véronique !
Je retrouve la vie qu'à du avoir mon AGM même si c'était une génération plus tôt et en Bretagne ! Voir http://marine-et-ses-ancetres.blogspot.fr/2014/04/geneatheme-sur-les-traces-de-victoria_4775.html
Merci !
Quel tres joli article, quel bel hommage a vos parents et aux instituteurs
Encore bravo
Merci pour vos commentaires. Toute une époque
Très bel hommage ! Merci pour ce billet !
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