Amédée Madelin et Marie Bonnet engendrent treize enfants. Cinq d'entre eux, Jeanne, Marguerite, Bernard, Albert, Charles, sont morts; les deux filles dans l’adolescence, les trois garçons en bas âge. Comme l’atteste le faire-part mortuaire de Marie, parmi les survivants, aussi brillants les uns que les autres, quatre garçons ont connu de très belles carrières. Jules, inspecteur général des Eaux et Forêts ; René général de division ; Louis, membre de l’Académie française ; Léon, commandant d’infanterie, tué pendant la Première Guerre mondiale. Sur les quatre filles, Noémi – l’aînée depuis la disparition de Jean en 1878 - est restée célibataire, confidente de son père ; Elizabeth s’est mariée à André Lesort, conservateur à la Bibliothèque nationale ; Geneviève a épousé Henri Zeller héritier d’importants tissages dans la vallée de la Doller en Alsace ; Lucie a épousé un Saint-Cyrien, militaire de carrière, Jean Quillard.
Naissance en 1868
Les quatre frères reçoivent une éducation stricte, dispensée exclusivement dans des collèges religieux. La chronique de Noémi Madelin, sa soeur, précise :
"En octobre 1875 à Bar le Duc, Jules et René sont admis dans collège créé en quelque sorte exprès pour eux, l’école Fénelon. Elle fut fondée à précisément à cette époque. Le couple Madelin y prit presque autant de part que le véritable directeur, l’Abbé Gouvain, un prêtre tenu par les hagiographes familiaux comme « plein d’audace, de zèle et surtout de sainteté ». En tous cas les quatre élèves du nom de Madelin qui passèrent entre ses mains lui procurèrent la plus sûre des réclames, si ce mot n’est pas trop vulgaire. Plus tard, lorsqu’ils entrèrent dans les grandes écoles ou dans les hautes études littéraires, on put juger mieux encore à quel point ils faisaient honneur à leurs premiers éducateurs. Ce qui primait tout le reste dans l’esprit de mes parents était l’éducation de leurs enfants. L’ère des baccalauréats s’était ouverte par celui de Jules en 1882. Ils se succédèrent d’année en année, le succès immédiat répondant presque toujours à l’effort et s’augmentant même souvent de mentions". René passe ses "bachots" et quitte l'école Fénelon de Bar le duc où , dit-il " l'on apprenait surtout la discipline et le travail plus que la science"
Les mémoires de René Madelin 1888-1913
René laisse une trace de sa vie sous forme de mémoires rédigées durant l’hiver 1939-1940 sur sa jeunesse.
Reproduction du manuscrit de Souvenirs de René Madelin rédigé en 1939-1940 (Vieux papiers de famille)
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Lorsqu'il écrit ses manuscrits, il est atteint d’un cancer à un stade avancé, il est déjà paralysé mais sa main reste remarquablement ferme. Ce texte a été probablement commencé pendant la deuxième guerre mondiale, alors qu’il séjournait à la Bonleuvre, la propriété d’Indre-et-Loire qu’il avait acquise près de Château-Renault lorsqu’il a pris sa retraite. Ces mémoires s’étalent de son concours d’entrée à Saint-Cyr jusqu’à la fin de 1913. Le verbe haut, la dent souvent dure, il explique comment et pourquoi il a choisi la carrière des armes. Un début de carrière qu’il n’a au demeurant guère apprécié. Malheureusement ce texte s’arrête à 1913, on ne saura rien de ses sentiments quant à son service pendant la première guerre mondiale qu’il a terminée comme Général de division.
Le choix de l'Armée
Dans ses mémoires, il s'interroge sur les raisons qui l'ont amené à suivre cette voie. En effet, ses parents ne l'ont pas poussé car ils étaient plutôt en faveur de la magistrature et du barreau. Son grand-père était négociant et se faisait gloire d'avoir été élu Président du Tribunal de commerce et mon grand père maternel, inscrit au barreau de Paris, était le fils du grand avocat Bonnet, défenseur du général Moreau, Vice Président de la Chambre de Louis XVIII qui passait pour la plus grande notoriété de la famille. Dans cette famille, on connaissait peu l'Armée. Pourtant, il avait en lui le souvenir d'un aïeul maternel le Commandant Desnoyers de la Garde impériale, qui avait perdu un bras à Leipzig et qui après avoir été refoulé comme brigand de la Loire par la Restauration, avait été finalement rappelé et affecté comme Administrateur à l'Ecole polytechnique. Il avait été entretenu dans ce culte par sa grand-mère.
Amédée n'était pas autoritaire et , selon son fils, il accepta les choix de René. En 1887, René quitte le foyer familial afin de préparer l'école militaire de Saint Cyr, au sein du cours préparatoire à Saint Sigisbert à Nancy sous la direction de l'abbé Jérome.
Admis à Saint Cyr en 1888
Il est admis à Saint Cyr, au rang de 108 ème en octobre 1888 et intègre l'école le 2 novembre 1888 à 20 ans. Il souhaite rapidement ne plus être à la charge de ses parents. Il avait un jugement mitigé sur ses camarades de Saint Cyr. "Quoique la plus grande masse de mes camarades appartint à d'excellentes familles, la fine fleur de la grande bourgeoisie française, je les trouvais dans l'ensemble assez vulgaires" . Dès sa sortie de l'école, il commence sa carrière militaire en qualité de sous-lieutenant au 11ème bataillon de Chasseurs à pied, ou Chasseurs alpins.
Fiançailles avec Jeanne de Sainte-Marie
En 1894 René se fiance, à Arcueil avec Jeanne de Sainte Marie, descendante du Général Pourrat, commandant de l'Ecole polytechnique de 1878 à 1880. René, sous-lieutenant de Chasseurs à pied tient garnison à Courbevoie. René est reçu à l’école de guerre en 1897 et à Paris, nait son troisième enfant.
En 1902, René est capitaine, il est affecté à l’état-major de la 17° division d’infanterie à Châteauroux. L'état major est installé à l'Hôtel Bertrand actuellement Musée de la ville de Châteauroux.
Le capitaine René Madelin
Officier de l'Etat Major de la 17ème Division d'Infanterie
Châteauroux 1903 (Archives familiales)
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Il ne tient d’ailleurs pas particulièrement à ce poste. Il écrit :
"J'avoue que cette décision me contraria; j'avais espéré rester à PARIS jusqu'à l'hiver et peut-être y trouver une situation de titulaire; mais je fus victime de la bonne opinion du colonel Daru à mon égard. Le général Bourjat, commandant la 17ème division ayant besoin d'un capitaine à son E.M., le colonel Daru lui avait vanté, assez mal à propos, mes mérites […] La ville de Chateauroux ne me séduisit pas. Elle avait l'aspect d'un grand village et au fond elle n'était pas autre chose; située au centre de la riche province agricole du Berry, elle était le centre de très importants marchés de céréales, de bestiaux et de volailles. Son avantage principal était d'ailleurs la facilité et le bon marché de sa vie alimentaire. Sans avoir beaucoup à chercher, je trouvai une bonne maison, assez grande avec un jardin et située en face du jardin public. Le propriétaire qui était le coiffeur le plus en vue de la petite ville consentit à des aménagements qui rendirent cette maison commode. J'avais besoin en effet de pas mal de place; car pendant mon séjour à Tours, notre famille s'était encore augmentée de deux unités: Anne-Marie née au début et Etienne à la fin de notre résidence tourangelle. Il y avait une petite école de prêtres, l'école Léon XIII, qui pour les débuts des deux ainés Jean et Bernard, était parfaitement suffisante. L'organisation de la vie familiale s'annonçait donc bien[…]."
Comme tout au long de ses mémoires, René n’y va pas de main morte dans ses jugements professionnels. Sa description des officiers qui l’entourent à l’état-major donne une idée précise de ce qu’était l’Armée française au début du XX° siècle. On est déjà loin du désastre de Sedan, et dans ce cœurs de la France, d’une strict point de vue militaire les soldats ne sont pas très occupés.
"Au point de vue militaire, je trouvai ma tâche assez rapetissée. Le travail d'un E.M.(Etat Major) de Division manque d'intérêt : c'est d'abord un E.M. très restreint comme personnel. Je me trouvais en tête à tête avec mon chef d'E.M. et un officier d'administration puis l'officier d'ordonnance du Général qui travaillait au Q.G.(quartier Général) et que nous ne voyons à notre bureau que par intermittence. Le Chef d'E.M. – le commandant de Bréban - était un brave homme un peu lourd, bureaucrate dans l'âme, méticuleux et grognon; c'était une pauvre société. Sa femme avait tout l'extérieur d'une vieille fille dévote; ils n'avaient pas d'enfants et quand on allait chez eux on trouvait tous les meubles de l'appartement couverts de housses et de journaux; en excluant la poussière on faisait l'économie d'une femme de ménage, ce qui comptait certainement, car ce couple qui inspirait l'ennui, paraissait d'une avarice sordide."
En ce début 1903, René rencontre de grandes épreuves. "Tout d'abord notre dernière petite fille Anne-Marie, qui était née peu avant notre arrivée à Tours, tomba brusquement malade et nous fut enlevée en quelques jours d'une méningite que j'ai toujours attribuée à une chute qu'elle avait faite dans sa petite voiture. Ce fut pour nous un immense chagrin; l'enfant était charmante, fort jolie, très éveillée et gracieuse. A quelques mois de là au mois de Janvier 1903, nous fûmes un peu consolés par la naissance du petit Antoine qui vint au monde superbe malgré les conditions qui avaient précédé sa naissance. La vie reprenait un peu quand une malheureuse chute de cheval dans laquelle ma jambe fut prise dans le poids de ma monture me condamna à l'immobilité et à des soins. Au mois d'Août j'emmenai toute ma famille à Lourdes pour demander à la Vierge sa protection sur nos enfants. Mais hélas! elle devait pour ce prix me demander un bien affreux sacrifice. Au mois d'octobre ma pauvre femme subit un accident qui se compliqua très vite et malgré tous les efforts des médecins elle succomba en quelques jours. Je ne veux incriminer personne, mais j'ai toujours pensé qu'il avait été commis par son médecin une grave erreur qui ne fut pas réparable!..."
Selon nos déductions, Jeanne Madelin-de Sainte-Marie a été victime d’une péritonite, peut-être consécutive à une grossesse extra utérine. Quelque soit la cause, voici René veuf à trente-cinq ans, seul en charge pour élever ses six enfants. A cette époque, incasable ! René est alors Capitaine d’infanterie en garnison à Chateauroux et c'est le 11 octobre 1903 qu'il perd sa femme Jeanne, née de Sainte-Marie. Agée de 31 ans, mère de huit enfants, dont deux décédés en bas âge. Elle est victime d’une péritonite infectieuse foudroyante peut-être due à une grossesse extra utérine. Elle est enterrée au cimetière de Neuville aux Bois dans le Loiret.
Noémi écrit "Jeanne, la vaillante mère de famille qui avait donné le jour à 8 enfants, dont 2 étaient partis pour le ciel, fut terrassée par un mal soudain et eut à réaliser le sacrifice de sa vie. Son mari fut aussi héroïque qu’elle. Ce sont de ces instants qui échappent à la compréhension humaine et que Dieu seul peut diriger et exiger. Ce fut un coup terrible pour mes parents; ils souffraient pour eux-mêmes, pour leur fils et pour les 6 pauvres petits enfants. C’était un poids bien lourd dans leur vie déjà si éprouvée."
Carnets de René : "De ce jour, il me semble que ma vie allait évoluer vers les voies les plus néfastes. Je me trouvais seul à la tête de 6 jeunes enfants et, malgré que je fusse [tenté] d'abandonner ma profession, obligé de continuer à servir pour conserver les ressources nécessaires à leur éducation. Ce fut peut-être mon salut et aussi la grâce en la Foi qui, en ces jours, s'affermit en moi plus solidement comme le seul recours contre le désespoir-et plus tard Dieu vint à mon secours en récompensant mon courage par une très grande grâce qui me permit de reprendre mon chemin. Je repris mon service, mais quoique j'aie trouvé dans des amis compatissants et dans ma famille de précieux encouragements, je ne cessais de contempler avec affliction ces enfants confiés à des mains mercenaires de souffrir en silence de ma solitude et de mon abandon moral! Je commençais d'ailleurs à m'éloigner de Châteauroux, où je n'avais que de tristes souvenirs désormais; comme j'avais à faire mon temps de commandement comme capitaine, je demandai à le faire dans l'Est soit au 2ème bataillon de Chasseurs à Lunéville soit au 37ème R.I. à Nancy où je pensais avoir de bonnes ressources d'éducation pour mes garçons.
Le 25 décembre 1904 René est affecté à Nancy. Moins de deux ans après son veuvage, on lui présente Henriette Clavery, fille d’un diplomate. Elle accepte la « tâche de rendre le bonheur à un époux et de remplacer la mère des six enfants qui en étaient privés ». Toute la famille nombreuse habite et Le Vésinet et à Paris un appartement, rue de Milan. Le mariage est célébré à l’église de la Sainte Trinité le 7 février 1907. La cérémonie précède de peu une nouvelle affectation, pour un état-major à Orléans. Il loge avec sa nombreuse famille dans une balle maison du Carré Saint-Vincent qui a échappé par miracle à la rénovation totale du quartier. En 1913, encore un déménagement, direction cette fois Rouen, à l’état-major du 3° corps d’armée. A la maison, le climat est curieux. Les aînés, en particulier Laure, battent froid à leur belle-mère – petite Maman – à laquelle ils ne pardonnent pas d’avoir pris la place de Jeanne. Et le cœur de René qui est fou amoureux de sa deuxième épouse : il reprend avec entrain son entreprise de procréation. Troix nouveaux enfants en cinq ans : de 1908 à 1913, Marie-Marthe, Monique et Emmanuel. La Première guerre mondiale coupe court à cette fougue.
La première guerre mondiale
Dès 1914, René Madelin participe de très près à la guerre. Officier d’état-major il est appelé à connaître tous les fronts, gravissant les échelons de la hiérarchie. Le 10 juillet 1914, René Madelin prend les armes à la garnison de Rouen et est affecté devant le front. Le 14 juillet 1914, en qualité de Chef de bataillon d'Infanterie, René Madelin, de l'Etat major du 3ème corps d'armée est nommé Chevalier de la Légion d'Honneur.
Diplôme de la Légion d'Honneur du Chef de bataillon René Madelin 12/07/1914 (Archives Légion d'Honneur)
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Mais, comme beaucoup d’autres familles en ce temps terrifiant, il est frappé en 1915, avec la mort en combat aérien de son fils aîné Jean. Polytechnicien, lieutenant d’artillerie passé dans l’aviation, il est navigant observateur. Par conséquent très exposé puisqu’à l’époque ce membre d’équipage siège dans le nez de l’avion. Il est tué à coups de fusils par un adversaire allemand, l’avion tombe, le pilote est également tué. Le lieu de sépulture de Jean ne sera retrouvé qu’après la guerre, dans un village de Flandres vérifier, à Moreuil. Avec difficulté car il a été inhumé sous le nom de Sébastien Madelin.
Pour autant, René ne s’oppose pas à l’engagement de son fils Bernard,mon grand-père, en 1915, alors qu’il n’a pas dix-huit ans, âge minimum requis. Les premières années, la plupart du temps loin du Front, René mène une guerre sans éclat particulier, jusqu’à se voir confier au printemps 1918 le commandement de la 28° division d’infanterie, alors stationnée en Alsace.
27 septembre 1918 PC Fourtière de la 28ème division Bataille de Picardie (Archives familiales)
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28 octobre 1918 - Le commandant René Madelin à la Bataille de Château Porcien (Archives familiales)
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Le Mont Kemmel
Cette nomination va le conduire à la gloire. La gloire d’une victoire réelle contre les troupes allemandes en Flandres belges, au Mont Kemmel, en Flandresen avril 1918. A cette date, la guerre est encore loin d’être gagnée, les armées allemandes restent puissantes, elles tentent au cours de nombreuses et meurtrières offensives d’enfoncer les fronts alliés tenus par des forces hétéroclites, françaises, britanniques, australiennes, canadiennes, portugaises… La coordination entre les grandes unités n’est pas toujours exemplaire. Les stratèges allemands tentent d’exploiter cette faiblesse en attaquant les articulations entre corps alliés. C’est le cas en Belgique, où les Britanniques épuisés sont prêts de céder. Un verrou tient : le « Mont Kemmel », en vérité une grosse colline abrupte de 159 mètres qui domine la plaine, à quelques kilomètres au sud d’Ypres. Le « point culminant » des Monts de Flandres. Le seul point haut à des kilomètres à la ronde, excellent point d’observation, bas d’artillerie. L’éminence est disputée avec acharnement depuis des années.
Pour tenir cette position, à l’initiative du général Foch, le Haut commandement allié a décidé la relève des Britanniques par une unité française. Or le général allemand Lüdendorf a pour objectif de lancer sa IV° armée afin d’enfoncer un coin entre l’armée française et les troupes du corps expéditionnaire britannique en enlevant cette hauteur « stratégique ». Le but final était de prendre à revers les Britanniques et de lancer la course à la mer. Cette entreprise est tellement importante que le Kronprinz – l’héritier de l’Empereur allemand – vient sur place pour assister en personne à l’assaut. Une victoire qui semble à portée de main. C’est sans compter avec les Alpins de la 28° division d’infanterie amenés d’urgence d’Alsace, et de leur chef, le général René Madelin.
Philippe Madelin, son petit fils, raconte : "Arrivée de la division sur le terrain du 14 au 16 avril, elle est forte de 12 000 hommes, des Dauphinois et des Savoyards. L’engagement est aussitôt d’une violence inouïe. Artillerie lourde, gaz de combat, aviation. Emploi massif des mitrailleuses. Les troupes allemandes piétinent, la résistance des Français est farouche, mais leurs pertes sont terribles : du 17 au 25 avril, sur 12 000 soldats, la division perd 131 officiers et 5 249 hommes, dont 4000 pour la seule matinée du 25 avril. C’est l’assaut ultime, précédé par une préparation d’artillerie puissante mais brève. Emploi massif des gaz. Heureusement pour les Français, l’interrogatoire de prisonniers allemands permet de prévoir le coup et en particulier de se prémunir contre les gaz de combat. Les Français cèdent bientôt du terrain. Le soir du 25 avril, ils se replient. Exsangue, la 28° division doit finalement se retirer. Mais, surprise, les Allemands ne suivent pas. En effet les assaillants ont été encore plus décimés que les défenseurs, ils n’ont plus la capacité pour repartir à l’assaut. Et ils ne retrouveront jamais cette capacité jusqu’à la fin de la guerre, sept mois plus tard.. Pour la première fois, l’emploi massif des mitrailleuses contre les vagues d’assaillants se révèle décisif. Plus décisif encore que les bombardements d’artillerie. L’affaire du Mont Kemmel est ce que l’on appelle en jargon militaire une « victoire défensive »." Selon Christian Madelin, à l’automne 1940 René ne cessait d’évoquer l’horreur vécue dans les tranchées. Il montrait volontiers à ses petits enfants un souvenir précieux pour lui : c’était un petit réveil de poche, gris , tout râpé. Il proclamait qu’il ne s’en séparait jamais et qu’il l’avait gardé sur lui pendant toutes les batailles de la « grande guerre ». René Madelin finit la guerre comme Général de division.
Général René Madelin avril 1918
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Comme Général vainqueur, il participe au défilé de la Victoire qui passe sous l’Arc de Triomphe. Sa fin de carrière est paisible. René reçoit de belles affectations. La plus prestigieuse est le 1er mai 1920 celle de commandant supérieur du groupe fortifié de Savoie et commandant le groupe de subdivisions d’Annecy et Chambéry.
Château des Ducs de Savoie
Ainsi le descendant du petit colporteur savoyard descendu de ses montagnes moins de deux siècles plus tôt est revenu « au pays » comme grand chef militaire. Il réside au château des Ducs de Savoie à Chambéry.
Château des Ducs de Savoie
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Il y donne des fêtes. Au cours de l’une d’entre elles, Bernard Madelin mon père qui vient d’entrer à Saint-Cyr remarque une très belle jeune femme blonde. Plus réservée que timide. Cœur d’artichaut comme son père il tombe fou amoureux de cette Lorraine, Odile Delafon, elle-même fille d’une officier de cavalerie. Elle n’est guère enchantée de se voir courtisée par cet officier : on fait trop d’enfants chez les Madelin. On vous racontera cette histoire au chapitre suivant.
En novembre 1925, René reçoit le commandement de la 19° division d’infanterie. Avant d’être affecté le 25 juin 1927 avec le grade de Général de Division de la 19ème Division d'Infanterie et placé à l’état-major général de l’armée. Il est promu au grade de Commandeur le 6 juillet 1929.
Etat des services militaires de René Madelin (Source Légion d'honneur)
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René a choisi de se retirer dans une propriété qu’il à achetée à Château-Renault, dans l’Indre-et-Loire, la Bonleuvre. Le vieux général est toujours actif, il édite une revue nationaliste, La France. Mais sa santé est mauvaise, il commence à ressentir les atteintes d’une maladie qui va le paralyser. Notre grand-père était paralysé du bas du corps ; il passait ses journées à lire et à écrire dans une pièce du rez-de-chaussée ; sa chambre était au premier étage et tous les soirs et matins mon père le transportait dans ses bras pour franchir l’escalier. Bien qu’il soit gâté par sa femme Henriette Clavery dont il est toujours aussi amoureux, ses dernières années sont plus que pénibles. Elle était avec son époux d’un dévouement admirable et elle était pleine de gentillesse pour ses « petits-enfants ». C’était une personne d’une grande distinction qui avait fait de son mieux pour élever les enfants du premier mariage, mais les plus âgés supportaient mal qu’elle ait en quelque sorte supplanté leur mère Jeanne de Sainte-Marie décédée si jeune et si tragiquement.
Christian Madelin décrit les dernières semaines de René : Après deux séjours chez son fils Etienne à Saumur, la panique provoquée par l’invasion allemande et l’exode de 1940 jète René sur les routes. René Madelin et son épouse accompagnés d‘une domestique firent en 1940 deux séjours dans notre maison de Saumur. En juin [1940] dans les circonstances dramatiques de la débâcle, ils étaient arrivés avec leur auto, une traction avant, je crois, [conduite par leur bonne Rosa], qui les accompagna dans leur étonnante épopée vers le Sud-Ouest.
René Madelin a écrit un récit pris sur le vif de leur fuite devant l’ennemi qui pour ainsi dire les talonnait.
Nos grands-parents ont séjourné chez nous à Saumur depuis Pâques jusqu’à l’exode de juin 1940. Ils étaient accompagnés par leur bonne Rosa qui était aussi le chauffeur de leur auto. Ils devaient revenir en septembre-octobre 1940, pendant plusieurs semaines. Nos parents qui avaient déjà une lourde maisonnée ont assumé avec beaucoup de dévouement la charge de loger et d’entretenir trois personnes de plus dont notre grand-père invalide.
Lui était dans un fauteuil roulant et on le promenait sur le chemin qui bordait l’Ecole de cavalerie où les Allemands étaient installés. René disait que les officiers qu’il croisait le saluaient avec respect en voyant son insigne de commandeur de la Légion d’honneur.
Décédé durant l’hiver 1940-41
Le 10 décembre 1940, Etienne – son fils – va rendre visite à son père à la Bonleuvre. Il le trouve au plus mal, il écrit à ma mère Odile Madelin afin de la tenir au courant. L'état de Papa s'est subitement aggravé dans la nuit de Dimanche à Lundi et il a été pris d'étouffement, pendant que sa paralysie faisait des progrès foudroyants. Je l'ai trouvé ce matin en arrivant, très affaibli, ayant du mal à parler et depuis même il ne peut plus prononcer un mot. C'est vous dire notre inquiétude d'autant que le médecin devant ces progrès si rapides, ne laisse guère d'espoir, même dans une rémission momentanée et il faut s'attendre maintenant au pire très rapidement. […] Ce qui rend plus pénible sa fin, c'est qu'il doit se voir s'éteindre peu à peu , sans pouvoir exprimer quoi que ce soit.
René décède à Château-Renault en Indre et Loire le 11 décembre 1940.
Lettre d'Odile Madelin à son époux, Bernard Madelin (13 novembre 1940)
Mercredi matin, Étienne, votre Mère et moi avons lu des feuillets renfermant les dernières volontés de votre Père et dont je prendrai copie: elles sont de 1938. Les obsèques ont été arrêtées pour demain 14 (Décembre) à Château Renault. Malheureusement on n'a pu obtenir des Allemands la pose du drapeau tricolore sur le cercueil. Seules les décorations, le képi et le fanion, et évidemment tout ce qui aurait été dû à votre Père en tant que général ne peut lui être donné, c'est très pénible. Dans la nuit de Mercredi à Jeudi, Étienne a veillé jusqu'à 3 h et moi ensuite, votre Mère ayant un besoin intense de repos. Vous devinez tout ce que tout cela pouvait remuer en moi de souvenirs malgré la différence d'âge et je pense sans cesse à notre enfant et à vous. La pauvre Laure n'est arrivée qu'hier à midi, la dépêche ayant mis près de 24 h à la toucher. Maintenant nous sommes là tous trois avec votre Mère et laissons le moins possible votre papa seul, mais comme c'est triste d'être si peu et de vous sentir tous au loin. Je fais venir Jean aujourd'hui. Nous nous sentons tous les trois dans la même union qui a toujours été entre nous et je suis si touchée envers votre frère et votre soeur de me traiter comme leur véritable soeur. Ils sont très bons. Votre mère est très calme, assez anxieuse de savoir ce qu'elle fera, bien affligée naturellement, très confiante avec nous.
Mercredi matin, Étienne, votre Mère et moi avons lu des feuillets renfermant les dernières volontés de votre Père et dont je prendrai copie: elles sont de 1938. Les obsèques ont été arrêtées pour demain 14 (Décembre) à Château Renault. Malheureusement on n'a pu obtenir des Allemands la pose du drapeau tricolore sur le cercueil. Seules les décorations, le képi et le fanion, et évidemment tout ce qui aurait été dû à votre Père en tant que général ne peut lui être donné, c'est très pénible. Dans la nuit de Mercredi à Jeudi, Étienne a veillé jusqu'à 3 h et moi ensuite, votre Mère ayant un besoin intense de repos. Vous devinez tout ce que tout cela pouvait remuer en moi de souvenirs malgré la différence d'âge et je pense sans cesse à notre enfant et à vous. La pauvre Laure n'est arrivée qu'hier à midi, la dépêche ayant mis près de 24 h à la toucher. Maintenant nous sommes là tous trois avec votre Mère et laissons le moins possible votre papa seul, mais comme c'est triste d'être si peu et de vous sentir tous au loin. Je fais venir Jean aujourd'hui. Nous nous sentons tous les trois dans la même union qui a toujours été entre nous et je suis si touchée envers votre frère et votre soeur de me traiter comme leur véritable soeur. Ils sont très bons. Votre mère est très calme, assez anxieuse de savoir ce qu'elle fera, bien affligée naturellement, très confiante avec nous.
Lors des obsèques de René Madelin, son cercueil était recouvert d’un fanion tricolore sur lequel était posé le képi de Général.
En vérité, on peut soutenir sans mal que la défaite de 1940 a porté le coup de grâce au Général qui ne peut oublier d’avoir défilé en vainqueur sous l’Arc de Triomphe, en juillet 1919.