A travers les archives et photographies familiales, j'ai pu retracer le parcours professionnel de Marcel Bourgoin, mon grand-père.
Mes ancêtres maternels ont exercé la profession de Boucher pendant 3 générations, dans le même village de Bourgogne, Chailley dans l'Yonne. La tradition a débuté en 1909, avec Alphonse, mon arrière grand-père, et a pris fin avec Gérard, son petit-fils, en 2000. A travers cette histoire de générations durant un siècle, nous suivons l'évolution d'un métier, de l'artisanat de proximité à l'industrie internationale.
Alphonse Bourgoin, le pionnier en 1909
Le pionnier c'est Alphonse, Etienne Bourgoin. Né le 29 novembre 1876, il est originaire du village de Saint-Julien du Sault
dans l’Yonne.
Acte de naissance d'Alphonse Bourgoin en 1876 |
Il est le deuxième d'une fratrie de 4 garçons et 1 fille. Son père Etienne est vigneron greffeur. Son grand-père Etienne est cultivateur. Alphonse, l'aîné des garçons, n'hésite pas à quitter la maison familiale pour se rendre à Chailley, village animé de 800 habitants, situé à 31 kilomètres.
Distance entre Saint Julien du Sault et Chailley- Yonne |
En ce début de siècle, Chailley abrite encore 3 fonds de boucherie. Alphonse fait son apprentissage dans l'un d'entre eux. Il est peu de métiers plus anciens que celui de boucher, et il
en est aussi très peu qui aient donné lieu à de plus nombreux règlements, dans
l’intérêt surtout de la santé publique. En France, à l’origine et même assez
loin dans le Moyen Age, il ne fut exercé que par un petit nombre de personnes,
ou même seulement par quelques familles où les fils succédaient aux pères. Alphonse ne succède pas à son père. Il se lance dans un métier tout neuf pour lui.
Alphonse Bourgoin en 1914 |
Cette photo datée de 1914 met en scène Alphonse, âgé de 38 ans, placé à gauche de l'image, cigarette à la bouche, sabots en bois aux pieds. Il vient d'abattre, avec ses deux collègues, un boeuf qui sera dépecé, préparé, et vendu aux clients. Qu'ils ont l'air fiers de leur travail ! Le fendoir, sorte de hache placée sur la bête est impressionnante. A cette époque, le boucher choisit ses viandes sur pied, dans des foires aux bestiaux ou directement dans les fermes. Il les transporte vivants dans dans son abattoir situé à l'arrière de son magasin, les abat, les découpe, les stocke. Il vend cette viande à ses clients.
Berthe Godard ép. Bourgoin |
En 1914, Alphonse dirige sa propre boucherie située Grande rue à Chailley. En effet, c'est dès 1909 que, Alphonse, entreprenant décide de s'installer à son compte. Soit 6 ans après son mariage le 2 mars 1903 avec Berthe Elmire Godard, la fille du sabotier et du cafetier du village Romulus Godard. Alphonse a 26 ans, Berthe seulement 17 ans.
La Boucherie en 1915
Romulus installe sa fille et son mari dans un espace à côté du café. Ainsi s'ouvre la boucherie Bourgoin qui va connaitre une prospérité certaine. Derrière le magasin, dans un grange de la maison familiale, est créé un abattoir, vaste espace dédié à l'abattage des bêtes et à leur dépeçage (Voir photo ci-dessus).
La boucherie Bourgoin en 1915 |
J'aime cette jolie photo de 1915. Alphonse, Berthe et leur fils Marcel enfant, posent devant leur boucherie qui jouxte le café de Romulus Godard, leur père et beau-père qui sert les clients installés à l'extérieur. D'après les écrits, l'installation se serait faite en juillet 1915. C'est peu après son mariage, que Berthe accouche de son premier enfant Marcel Bourgoin, mon grand-père. Elle est âgé de 19 ans. Sa soeur Martine nait le 24 avril 1911. En 1915, elle accouche d'un enfant sans vie.
Boucherie Bourgoin à Chailley vers 1930 |
Quelques années plus tard, en 1930, la famille se laisse photographier devant la belle boucherie Bourgoin. Berthe Godard se tient sur la plus haute marche, Alphonse à sa gauche et Martine sa fille à sa droite. La boucherie est pimpante avec ses grilles blanches et ses rideaux que l'on tire en cas de chaleur. Il n'y a pas encore de vitrine réfrigérée. La ventilation dans un local frais est une manière empirique de conserver la viande. Mais cela nécessite de bien traiter l'animal et sa carcasse, en évitant les souillures lors des opérations de dépouille, d'éviscération et de découpe. Le fils Marcel, suit sa scolarité à l'école primaire de Chailley avant de rejoindre, après son certificat d'études, la boucherie familiale. Le CAP de boucher n'est créé qu'en 1920. Son père lui apprend donc le métier. Il travaille aux côtés de son père avant de prendre sa suite.
Marcel Bourgoin, la deuxième génération en 1933
Boucherie Bourgoin 1936 |
Marcel et Germaine |
Il s'acharne au travail et transforme la boucherie de son père en un commerce prospère. Lui aussi, choisit ses animaux sur pied, les transporte, les abat, les découpe et vend la viande à ses clients. La commune ne compte plus que deux bouchers concurrents mais la boutique est pleine. Les journées sont longues. Il se rend, tous les 15 jours, aux Halles à Paris acheter des bovins de qualité, qu'il transporte à l'aide de la camionnette de l'épicier, son ami. Pour répondre à la demande croissante, Il élève des animaux dans ses prés ou les sélectionne dans les fermes environnantes. Il travaille ainsi jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Je raconte cette période dans un autre article du blog. Il sera fait prisonnier, libéré, dénoncé puis caché sous une fausse identité jusqu'à la libération. Après la guerre, il élève ses deux enfants et les 3 enfants de sa soeur, veuve de guerre. Il se trouve contraint à développer son affaire pour assurer la survie de toute la famille. Il n'hésite pas à diversifier ses activités avec l'aide de son épouse Germaine.
Marchand de bestiaux
A cette époque, le boucher de village va chercher ses bêtes dans les fermes des alentours, les abat lui même, les découpe pour les vendre à la boutique ou en tournée en passant de village en village.
Carte d'acheteur 1949 |
L'abattoir
Pour évoquer l'abattoir, j'ai fait appel à mes souvenirs de petite fille. Ne lisez ces lignes que si vous avez le coeur bien accroché !
"Je me souviens de l’arrivée du
porc ou du bœuf dans l’abattoir, ouvert sur la cour. Le porc hurle comme s’il
savait sa dernière heure arrivée. Le bœuf ne veut pas sortir du camion.
Pourtant le scénario est immuable. Le veau est attaché vivant par les pieds
arrières et levé en haut d’une poulie. D’un coup sec il est égorgé et son sang
chaud est recueilli dans une bassine. Très rapidement ses viscères s’amoncèlent
sur le sol. Toutes les parties vont servir à la boucherie et à la charcuterie.
Rien n’est perdu. Le grand frigo installé à côté garde la qualité de la
viande. Si pour le porc, les cris raisonnent encore dans ma tête, pour le
bœuf c’est terrible. La bête se tient debout, droite et fière. Mon grand père
tient une massue, appelée Merlin américain et d’un seul coup il doit frapper entre les deux yeux
frontalement. L’homme et la bête. L’animal s’effondre net. Allongée au sol,
gisante, elle est également dépecée. Le travail est plus long, délicat. Il
faut respecter tous les muscles, les morceaux. Les poils de la peau du
porc sont brulés avec de la paille en feu, en dégageant une odeur nauséabonde. La peau du
bœuf sèche dans un coin de l’abattoir au sol en attendant qu’elle soit
vendue".
Les morceaux de viande sont rangés dans la chambre froide appelée Glacière. Jusqu'aux années 1950, la glacière est réfrigérée par des énormes pains de glace. Ils sont livrés par camion, protégés par de la sciure et installés à l'intérieur du local réfrigéré.
Les "tournées"
Marcel Bourgoin apporte la viande
aux personnes sans véhicule et qui ne peuvent se déplacer. Le
« tube » est rempli de viande.
Le tube des "tournées" en 1957 |
Il roule et klaxonne à l’entrée du
village. Il s’arrête à un endroit stratégique du village. Les gens sortent de
leurs maisons et s’agglutinent à l’arrière du camion. Certains ont passé leur
commande la semaine précédente. C’est rapide.
D’autres hésitent et mon grand père doit leur "faire l’article". Il ferme son camion une fois que les clients sont servis et ont fini leur conversation. Il repart jusqu’au village suivant. Ces tournées lui permettent de compléter ses revenus et ma grand mère tient seule la boutique. Je ne sais pas si ces tournées sont rentables. Beaucoup de temps et de travail pour une maigre recette. Il cesse ses tournées les dernières années.
D’autres hésitent et mon grand père doit leur "faire l’article". Il ferme son camion une fois que les clients sont servis et ont fini leur conversation. Il repart jusqu’au village suivant. Ces tournées lui permettent de compléter ses revenus et ma grand mère tient seule la boutique. Je ne sais pas si ces tournées sont rentables. Beaucoup de temps et de travail pour une maigre recette. Il cesse ses tournées les dernières années.
La charcuterie
A l'arrière de la boutique est installé "le laboratoire". C'est dans ce local d'une propreté irréprochable que sont façonnés, les boudins noirs en chapelet, les saucisses, les rillettes, les terrines, les jambons...
Dès 1963, mon grand père comprend que sa boucherie artisanale ne peut suffire à
son activité, à celle de son fils Gérard,apprenti boucher et à son neveu Alain Charlot. Il impulse un changement d’importance. Son
idée originale est la fabrication et la vente de nouveaux produits. Ma
grand-mère, excellente cuisinière,
imagine des rillettes de lapin au chablis. Ces rillettes sont
appréciées. Gérard Bourgoin et Alain Charlot décident de fabriquer ces
rillettes à plus grande échelle. Encore faut-il pouvoir les conserver pour
pouvoir élargir les ventes. Gérard achète la plus grande cocotte minute qui
existe sur le marché, une
« Seb » de 15 litres. Puis
vient l’idée de pasteuriser ces rillettes dans des pots en verre. Alain invente le premier appareil de
production avec un système de contre-pression à air comprimé permettant aux
couvercles de tenir longtemps sur les pots en verre. Le système de conservation étant au point, des quenelles de volailles au chablis complètent la gamme de produits. Gérard se charge de la
vente dans des charcuteries de l’Yonne et élargit la vente à la région
parisienne, transportant ses produits dans une 2 CV camionnette. Les produits sont regroupés sous le nom "la Chaillotine", nom des habitantes du village.
Article de L'Yonne républicaine 1966 |
La qualité de ces
produits est vantée par la presse locale et est reconnue par un prix au concours international de Stockholm en
1966.
La troisième génération : la création de l'usine la Chaillotine en 1966
Mes grands parents accompagnent et encouragent cette expansion. L’ingéniosité des deux cousins rend possible un tel challenge. C’est en 1966, que le fils Gérard Bourgoin décide de créer une SARL à capitaux familiaux pour employer une trentaine de personnes dans les bâtiments aménagés dans une ancienne ferme de Chailley. En 1968, la SARL Bourgoin se transforme en SA à capitaux encore exclusivement familiaux qui est la première en France à se lancer dans la découpe de dinde. Le consommateur français découvre les premiers les rôtis de dindonneau et les escalopes de dinde sous vide.
Le premier logo de la Chaillotine 1970 |
De 1970 à 1973, des bâtiments neufs sont construits à l’entrée du village. L’extension est progressive et La Chaillotine s’agrandit jusqu’à atteindre 9 400 m2. Une gamme de produits diversifiés est élaborée : pintadeau et lapin farci, escalope de dinde, dindes entières, brochettes de dindonneau, produits surgelés…L’extension des bâtiments en 1971 en fait une usine de 3 800 m2 dont la capacité d’abattage est de 1 500 tonnes par an. L’expansion se poursuit de façon impressionnante durant les années 70 à 90.
Usine la Chaillotine en 1971 à l'entrée de la commune de Chailley |
Groupe industriel BSA de Gérard Bourgoin en 1985
L’entreprise rachète de nombreuses sociétés, se
diversifie et se tourne vers l’international. Le Groupe BSA ( Bourgoin société anonyme) est créé en 1985. En 1996, l’entreprise devient le numéro un mondial de la découpe de
volaille fraiche, avec les marques Douce France, Duc, Tilly, Farmstead. Toutefois, en 2000, le groupe BSA n’évite pas le dépôt de
bilan. La société Duc poursuit son activité à Chailley sur l’ancien site du
groupe.
5 commentaires:
Très intéressant, j'ai beaucoup appris et cela m'a donné une idée d'article :)
Beaucoup d'illustrations, de commentaires et d'explications sur le métier, bravo!!
Je partage!
Merci pour le commentaire. Cordialement.
ha le tube (Citroën) de l'année de ma naissance et que j'ai vu rouiller ! le dindon dans le C de Chaillotine, les tontons lanceurs de carcasses, et les couvercles des bocaux de rillettes : ça me parle ;-)))
Didier, des souvenirs partagés. Tout une époque...
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