Prologue
Le texte que je vous propose est une tentative de
reconstitution de la saga Madelin. A l’origine, les sources ont été puisées
pour l’essentiel dans les textes publiés par Jean-Pierre Berthier, dans le
bulletin « Les Vieux papiers de famille ». Depuis, de nouveaux
apports ont enrichi le corpus, dont plusieurs contributions inédites, rédigées
à ma demande.
La somme de documents publiée par les VPF est
énorme. Ils sont le plus souvent restés à l’état brut. Seules les généalogies
étaient vraiment élaborées, grâce à un logiciel utilisé et perfectionné par
Jean-Pierre.
En revanche, les textes sont livrés en vrac, même
quand ils sont assortis de commentaires dus à Jean-Pierre, voire complétés par
des courriers émanant de cousins. Très lacunaires, eux aussi, car se référant
avant tout aux souvenirs personnels.
Philippe Madelin, Journaliste, le 19 mars 2008
Philippe Madelin, Journaliste, le 19 mars 2008
Note : Les photographies, cartes postales,documents d'archives, d'état civil ont été ajoutées par sa nièce par alliance Véronique Battut.
Chapitre
1 - Sortis
de la glaise et des montagnes :
des
origines légendaires pour la famille MADELIN
Les recherches sur ma famille MADELIN représentent
un long voyage, une plongée dans une saga en partie obscure et énigmatique.
Même dans des épisodes récents.
Il débute de façon à la fois plaisante et
anecdotique quand après sa retraite prise à Bar-sur-Aube, Jean-Pierre Berthier
se met dans la tête en 1974 d’explorer les origines de la tribu Madelin à
laquelle il est relié par sa mère Germaine, fille de Jules 2 Madelin.
A l’époque on ne connaît pratiquement rien de
cette histoire, en dehors de vagues allusions dans les récits familiaux. Les documents
« historiques » ont été dispersés au gré des héritages. Aucune
collation cohérente n’a été menée.
A Bar-sur-Aube, Jean-Pierre et sa femme Annie
enfournent leurs dix enfants de 5 à 14 ans dans une voiture, direction la
Savoie. C’est l’été, mais un été pluvieux, peu propice aux grandes ballades. Et
voilà tout notre monde en route vers les origines. Les moyens financiers étant
plus que limités, Jean-Pierre et Annie ont décidé de camper, au col des
Aravis, qui domine les vallées de l’Arondine et de Thones, où se nichent les
bourgs de Flumet et Manigod, censés conserver les traces des ancêtres[1].
Jean-Pierre connaît si mal la question qu’il pense
trouver quelque chose en fouillant les archives de Savoie à Chambéry, alors que
les deux villages sont situés en Haute-Savoie.
Force est donc d’être moins ambitieux. Un tour à
la mairie de Flumet est sans effet, il n’y a plus d’archives. Il est conseillé
à Jean-Pierre d’aller voir au presbytère. Là, miracle, le curé confirme qu’il
conserve tous les actes de catholicité de la paroisse depuis 1702 : par
exemple l’acte de baptême d’Angélique Magdelain, fille de Georges, daté du 8
février 1702. Ne trouvant rien de mieux, Jean-Pierre s’attaque au registre des
sépultures. Coup de chance encore : il trouve la trace de François
Magdelain, inhumé en 1704 : il est mentionné qu’il avait trente ans quand
il est mort. On peut ainsi remonter un peu plus loin dans le temps, mais avec
prudence car à l’époque les dates d’état-civil étaient pour le moins
approximatives ! On n’en parvient pas moins à environ 1670. François
demeurait au hameau de Curtillet, paroisse de Flumet. Et on découvre qu’il
avait un frère cadet, Georges, qui lui est décédé au château de Belletour en
1725. Et voici comment a commencé la reconstitution d’une saga. Près de
quarante ans déjà pour reconstruire l’histoire d’une tribu surgie de nulle
part. Alors que d’autres familles Madelin apparaissent ici ou là. Mes
investigations tendent à démontrer qu’elles sont sans rapport avec notre propre
tribu.
Nous sommes donc au tournant du 17° et du 18° siècle.
En France règne Louis XIV, mais dans ce pays-là, dans ce Duché de
l’Empire romain germanique depuis passé entre les mains des Ducs de Savoie,
dans ce pays plus francophone que jamais malgré la proximité des patois
franco-provençaux, malgré les multiples incursions des troupes françaises et
espagnoles, on ne reconnaît comme souverains que les Ducs de Savoie. Dont le
pouvoir s’est effrité sous les coups de boutoir des occupations
étrangères : les Français en 1630, 1690, 1703 ; les Espagnols de 1742
à 1749. Une certitude, le pays est pauvre, très pauvre. Très tôt, dès la fin du
XVII° siècle, pour assurer leur survie et celle des leurs, les habitants du Val
de Thônes, des Aravis et autres vallées qui déboulent des Alpes, ont commencé à
émigrer. L’Allemagne, Lyon. Puis, plus au nord, la Lorraine.
Bien que plus tard ils aient revendiqué une
parentèle plus ou moins lointaine avec les seigneurs de Sales, et avec le plus
célèbre d’entre eux, Saint François de Sales, ces montagnards ont des origines
complexes. Côté Maniglier on affiche de ronflants titres de châtelains et de
nobles, on se crée même des armoiries. Mais la noblesse semble pour le moins
approximative. La plupart des Madelin sont des gens de rien. Des paysans
modestes. Des laboureurs, des éleveurs qui laissaient paître leurs troupeaux
sur les grands communaux, une forme de propriété collective qui perdure encore
dans ces montagnes.
On doit à ce niveau s’en tenir aux approximations
non vérifiées de la légende familiale, soutenant qu’ils venaient d’Italie. Si
j’en crois des Italiens rencontrés naguère, l’orthographe du patronyme Madelin,
ou Magdelain, trahirait une origine à situer dans le Frioul, le pays
germanophone situé au-dessus de Venise. Et peut-être même de Slovénie. Du
Frioul, un ancêtre non identifié a pris la route de l’Ouest, rive nord du Pô,
pour chercher du travail. Plus ou moins nomades, les Madelin se déplaçaient
vers l’ouest au gré des engagements pour des travaux agricoles. Leur errance a
sans doute duré plusieurs décennies. A ce jour, on n’en a aucune trace
documentaire. Ils ont fini par se heurter à la barrière des Alpes. La tradition
veut qu’ils se soient arrêtés quelques temps dans le Val d’Aoste francophone,
au sud du Mont Blanc. La vie y est dure, la recherche de travail est difficile.
On parle le franco-provençal de rigueur dans ces contrées à cette époque, et on
continue à avancer vers un monde meilleur, on franchit le massif, on descend
dans la Vallée Blanche, jusqu’à Passy. Après Passy, Megève, Planaise, les
pré-Alpes s’ouvrent, à peine moins rudes. On est au début du XVIIIº siècle et
la Savoie est encore italienne, plus exactement possession de la famille de
Savoie, victime des occupations successives des Français, puis des Espagnols.
Compte tenu de leur potentiel économique, les Savoies sont alors surpeuplées,
passablement oubliées par la capitale du royaume, Turin.
La piètre qualité des documents d’état-civil
laisse forcément le chercheur sur sa faim. Et la tâche du chroniqueur est
compliquée par les transcriptions erratiques des patronymes, laissée au
gré des curés qui tiennent les registres paroissiaux lesquels font alors office
d’état-civil : à cette époque, les Madelin sont également orthographiés Madelain
ou Magdelein, voire Magdeleins. Et pour ne rien simplifier, on porte souvent le
même prénom de père en fils, de grand-père en petit fils, le prénom apparent
n’étant pas toujours le prénom d’usage. Chez les Madelin cette coutume
perdurera jusqu’au milieu du XX° siècle, débouchant sur de fréquentes
confusions
Cependant, à partir de leur installation à
Manigod, la filiation des Madelin est parfaitement établie dans les actes de
catholicité[2]
et le patronyme bien fixé, même si subsistent de nombreuses zones d’ombre.
Tout au sommet de la pyramide figure un énigmatique Joseph-François.
Naissance entre 1640 et 1645, décès après
1670-80. On ne connaît pas le lieu de naissance, mais il est très probablement
mort à Flumet où sont nés ses enfants.
Il est le père du François – ou Joseph-François,
lui aussi, mentionné plus haut, et il n’apparaît qu’au détour d’un acte de
mariage assez tardif. Il y a surtout Georges qui a vécu de 1670-1680 à 1725.
Propriétaire ou occupant du château de Belletour à Flumet.
A l’orée de la montagne moyenne de Savoie, dans ce
qui deviendra plus tard un bassin industriel voué à l’électro-chimie, Flumet
est alors un gros bourg fort de quelques centaines d’habitants.
On ne connaît pas l’activité exacte de ce Georges.
Est-il le châtelain en son château ? Ou une personne de service ? Il
est parfois qualifié de notaire, une désignation qui peut tout aussi bien être
un écrivain public…
Apparaît ensuite son fils Jean, né en 1706, mort
en 1772, marié avec Catherine du Fourt de Villeneuve. Ils ont deux fils :
Georges, deuxième du nom, décédé en 1704, François, et une fille Anne-Marie.
Georges est né à Flumet vers 1670-1680, au château
de Belletour. Marié à Andrea Adious (ou Ajoux[3]) il a
quatre filles, Angélique, Marie Rose, Claudia, Jeanne et un fils, Jean, lui
aussi né à Flumet vers 1706. Bien que qualifié de laboureur sur les actes, Jean
Magdelens est peut-être notaire, ou clerc de notaire, exerçant au château de
Flumet. Mais à l’époque cette fonction de notaire couvrait en partie le rôle d’écrivain
public. Par la suite Jean Magdelens aurait été le « châtelain »
héréditaire de Manigod, responsable administratif du village.[4]
Jean se marie le 16 octobre 1729 à Manigod, avec
Marie Golliet, fille de Charles Golliet, notaire, et de Georgette Maniglier. La
montée dans l’échelle sociale se précise, surtout quand le couple déménage à
Serraval pour aller y fonder un commerce. La vallée présente une particularité
qui rendra le pays célèbre au cours des décennies à venir : là sont formés
les ramoneurs qui montent vers le Nord pour aller nettoyer les cheminées
encrassées. Mais ils ne montent jamais seuls, ils forment un couple
indissociable avec un colporteur qui transporte toutes les fournitures
nécessaires à la vie du petit ramoneur. Serraval semble être plus que Flumet
l’origine principale des ramoneurs.
Le couple Madelin a un enfant,
Barthelémy-Balthazard-Bienvenu, né à Manigod le 6 juillet 1730. Dans l’acte de
naissance son patronyme est orthographié Magdelein.
Il est possible que son frère François soit à
l’origine d’une branche de la famille restée en Savoie. On retrouve des Madelin
dans la région de Chambéry, à Grenoble, autour de Lyon.
Une anecdote rapportée par Christian Etienne
Madelin, à propos d’une antiquaire de Savoie – évoquant la « branche de
l’Est » - , semble étayer cette
hypothèse[5].
« Nous
étions en vacances aux sports d’hiver, sans doute en 1962 dans la région de
Megève. Pour remercier une de mes sœurs qui gardait les enfants ?), alors
que nous étions à Annecy, nous allons chez un antiquaire pour trouver une
babiole. Je paie, avec un chèque. L’antiquaire, une dame, s’exclame :
“Alors
vous êtes des Madelin de l’Est ? La mère de mon mari était née Madelin.
Savez-vous que le docteur Madelin, installé à Sallanches, vient de
mourir ? “
Balthazard MADELIN , l’émigrant
Retour au
royaume de Savoie, au début du 18° siècle. Un retour au demeurant fort peu
documenté car les Madelin de ce temps-là ne semblent pas encore atteints par
cette graphomanie galopante qui alimentera la chronique de la tribu au cours
des décennies à venir. Des décennies ? Non, des siècles[6].
Après deux ou trois générations de stabilité, la
famille continue à descendre de ses montagnes, elle quitte Flumet pour le
village de Manigod, au cœur du Val de Thônes, à quelques kilomètres à l’est
d’Annecy. Manigod est le village d’origine de Marie Golliet, l’épouse de Jean
Madelin[7]. Leur
fils, prénommé Balthazard, naît en 1730 à Manigod. Nanti de quatre sœurs, mais
il reste fils unique.
A ce niveau se situe un épisode tout à fait
énigmatique, et à ce jour resté obscur.
Selon une lettre de Jean-Baptiste Madelin[8], son
père Balthazard racontait qu’il avait été confié à l’âge de huit ans par son
père à un maître originaire du village, comme il était d’usage.
« Au
bout de quelques semaines, [il] l’avait abandonné, et, revenu en Savoye à
l’époque ordinaire du retour, n’avait pu donner à son père aucun indice de
l’enfant qu’on lui avait mis en garde. »
Désespoir des parents, la disparition dure six
mois « redemandant sans cesse à ce
conducteur infidèle leur enfant ».
La suite en forme d’épilogue heureux n’est pas
moins étrange :
« Sur
la fin de l’année, le père étant dans les champs, il aperçoit revenir son fils
qui prenait par un sentier le chemin du hameau. [Le père] court au devant de
lui, le charge sur ses épaules et le ramène à sa mère en s’écriant :“Note
Balthazard ! Note Balthazard ! Voici note Balthazard“ »
De l’émotion et de la sensibilité, mais point
d’autre éclaircissement. Quel est ce « temps du retour » ? Où
s’est trouvé l’enfant perdu pendant l’absence ? Comment ce petit garçon de
huit ans a-t-il retrouvé le chemin de sa maison ? Toutes questions sans réponse.
Balthazard est donc
rentré, mais il semble avoir entretenu des rapports orageux avec
son père. Tant est si bien que, devenu jeune homme, il décide de s’expatrier.
Dans ce temps cependant, la tutelle des parents perdurait très au delà de notre
majorité, pour partir, Balthazard doit être émancipé. Il obtient cet acte le 1er
décembre 1755. Il a vingt-cinq ans. Il reprend la tradition nomade de ses
ancêtre. Ayant pris soin d’emporter avec lui l’ensemble de ses papiers prouvant
sa filiation[9],
le voici sur la route. Direction la Lorraine, vers laquelle le début de la
révolution industrielle attire déjà la main d’œuvre immigrée, originaire du
Royaume de Savoie, en l’occurrence[10].
L’émigration sans retour est de tradition. Il faut aller
ailleurs pour manger. C’est le grand dérangement.
Notes de V. Battut sur Balthazard MADELIN
Notes de V. Battut sur Balthazard MADELIN
- Né le 6 juillet 1730 - Manigod, 74230, Haute Savoie, Rhône-Alpes, FRANCE
- Marié le 13 janvier 1761, Toul (Sources: AD du 54 - Table BMS 1607/1791 page 273) 54200, Meurthe et Moselle, Lorraine, FRANCE, avec Jeanne CHATELAIN puis avec Marguerite LAMOIX le 27 août 1787 à Toul
- Décédé le 15 septembre 1808 - Toul, 54200, Meurthe et Moselle, Lorraine, FRANCE , à l’âge de 78 ans
- Négociant en textiles, Maire de Toul
[1] VPF, N°
1, 1er trimestre 1990.
[2]
L’Etat-civil légal ne sera instauré qu’à partir de la Révolution, cette
situation perdurera dans le royaume des Deux Savoies jusque tard dans le 19°
siècle. En contrepartie, les archives des presbytères ne seront pas détruites
comme dans le reste de la France.
[3]
Le patronyme Ajoux
subsiste dans la région de Chamonix. De même, Le patronyme Maniglier est très
répandu dans cette micro-région, encore présent aujourd’hui.
[4] VPF 19,
3-1995, à propos de Barthelemy Prat
[5]
Témoignage oral réitéré de vive voix en avril 2008. il confirme l’anecdote
rapportée en 1991 par Philippe Pierre Madelin. Voir VPF 6.
[6]
Jean-Pierre Berthier n’a jamais poussé les recherches plus loin. Mais il
indique que Louis aurait déjà dépouillé les archives de Flumet. Les notes ont dû disparaître dans l’incendie de
la maison de Philippe Zeller, petit-fils de Louis, à la suite d’un incendie de
forêt en 2003. Cette précision m’a été donnée en août 2008 par Philippe Zeller.
[7] A
l’initiative de Danièle Rénier (fille d’Etienne René) une grande expédition
réunissant 51 cousins a été organisée pour joindre Flumet à Manigod, le 14
juillet 1991.
Le plan de la ballade organisée par Danièle Rénier, fille
d’Etienne, est significatif : il montre qu’en fait la famille est
descendue au 18° siècle de Flumet, franchissant le col des Aravis, pour
s’installer à Manigod puis à Serraval.
[8]
Courrier destiné à l’auteur des « Elégies savoyardes ». Il est daté du 15 mars 1823 et il n’en subsiste que
le brouillon original resté entre les mains des descendants de Paul-André
Lesort. VPF N°4, 4° trimestre 1990.
[9] VPF 27,
3-1997. Les actes de catholicité seraient déposées aux Archives d’Annecy.
[10]
Association des Amis de la Vallée de Thônes. Henri Videlaine, le Cortil, La
Vacherie, 74230 Thônes. 50020145
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire